Art
Expositions : à l’insolite Palais idéal du Facteur Cheval dans la Drôme
Les rêves d’eau de Jean-Michel Othoniel
26 MAI . 2022
Il est de ces lieux emblématiques dont il faut faire la visite au moins une fois dans sa vie. Autant insolite qu’enchanteur, à la croisée de l’art brut et de l’architecture, le Palais du Facteur Cheval, situé à Hauterives dans la Drôme, fête ses 110 ans de figure de proue parmi ces œuvres d’art totales qui jalonnent le paysage français. Le lieu, fruit du labeur puissamment créatif d’un rêveur -facteur le jour, artiste la nuit- Ferdinand Cheval, accueille cet été la poésie de Jean-Michel Othoniel à travers une exposition intitulée « Le rêve de l’eau ». L’auteur du kiosque des Noctambules du métro Palais-Royal livre en ces lieux exceptionnels un ensemble de pièces inédites, visibles depuis le 14 mai et jusqu’au 6 novembre 2022. Visite.
Une exposition-anniversaire à l’occasion des 110 ans du Palais
C’est à une heure un quart de Lyon et quarante-cinq minutes de Valence que l’on trouve cette merveille pas encore consacrée mais cependant classée Monument Historique en 1969 par André Malraux, alors Ministre de la Culture.
Il faut sillonner les routes de campagne de la Drôme pour gagner le village de Hauterives et se laisser surprendre par cet édifice décidemment hors du commun. Aujourd’hui transformé en musée et accessible au public, le spectaculaire palais fut autrefois un potager sur lequel la première pierre de l’édifice fut posée. 33 ans durant, à la sueur de son front et à l’aide de sa fidèle brouette, Ferdinand Cheval, facteur du village, ramassait le jour -pendant ses tournées de distribution- des pierres qu’il assemblait la nuit.
Le résultat est grandiose, sorte d’œuvre totale gigantesque, comme un château de sable démentiel figé dans le temps. Pour cette nouvelle saison, le directeur de l’établissement, Frédéric Legros invite le sculpteur contemporain Jean-Michel Othoniel à investir les lieux et déployer ses œuvres autour des façades du Palais idéal du Facteur Cheval sous forme de fontaines, à l’intérieur avec des vitraux et au sommet avec des sculptures. De l’eau et du verre pour abonder dans le sens que le Facteur souhaitait donner à son palais, animé de jeux d’eau, de fontaines et de cascades.
A une heure de Lyon, un palais imaginaire devenu la réalité du Facteur Cheval
Lancée en 1879, cette aventure voulue par Ferdinand Cheval s’achève en 1912. Âgé de 43 ans, il est facteur de campagne et alors qu’il effectue ses tournées à pied, il bute un jour sur une pierre étrange, l’une de celles que Roger Caillois (poète, membre du groupe surréaliste et et grand collectionneur de pierres ndlr) n’aurait pas renié. Il forme alors le dessein de bâtir un palais fantasmé à partir de cette trouvaille originale : « puisque la nature veut faire de la sculpture, je ferai la maçonnerie et l’architecture ».
« Les minutes de loisir que mon service m’a permis, j’ai bâti ce palais de mille et une nuits où j’ai gravé mon souvenir. » – Ferdinand Cheval
Au service de cette mission quasi mystique et à la force de ses bras, il édifie au fil des ans un palais fantastique, fait de quatre façades entièrement décorées, de passages intérieurs, de grottes… Un projet directement en prise avec la nature, inspiré par les cartes postales qu’il distribue au quotidien. Sur ses longs trajets chaque jour, comprenant une trentaine de kilomètres, il récupère des pierres qu’il transporte dans sa brouette- à l’intérieur du Palais, une niche est d’ailleurs destinée à rendre hommage à son outil le plus précieux- pour les assembler la nuit.
C’est bien « le Panthéon d’un héros obscur », comme on peut le lire gravé à même la pierre, parmi plus plus de 60 citations que le spectateur aura plaisir à découvrir. Mais si ce Palais idéal du Facteur Cheval se destinait à être sa dernière maison, en vertu des lois qui interdisaient ce genre d’inhumation, il dut élire domicile au cimetière communal pour ériger son futur tombeau.
Une source constante d’inspiration
Ici, rien n’est laissé au hasard : les façades entièrement sculptées s’ornent d’un bestiaire fantastique et hétéroclite (pieuvre, biche, léopard, éléphant, oiseaux, etc.), on y trouve aussi trois géants, des fées, des personnages mythologiques parmi une végétation foisonnante et des architectures de tous les continents (une mosquée, un temple Hindou, un chalet suisse, la Maison Carrée d’Alger, un château du Moyen Âge), bref, tout un monde réunissant l’Orient et l’Occident. « Les fées de l’Orient viennent fraterniser avec l’Occident » ainsi qu’il est inscrit à la fin de la visite des galeries du rez-de chaussée de cette œuvre totale et labyrinthique.
Ce véritable monde en soi inspire depuis des générations les cinéastes (Nils Tarvenier lui consacra un film, Agnès Varda y vint régulièrement), architectes, créateurs de mode (à l’été 2020, le Palais idéal du facteur Cheval accueillit le tournage de la collection printemps-été 2021 de Lanvin) et bien sûr, les artistes … A ce titre, Jean-Michel Othoniel, artiste invité de la saison, a plus d’un lien avec ces lieux oniriques.
Jean-Michel Othoniel invité de la saison au Palais idéal du Facteur Cheval, une évidence
Si Jean-Michel Othoniel est né et a grandi du côté de Saint Etienne, enfant, il passe ses vacances dans la Drôme et visite fréquemment le Palais qui le fascine. « Nous partions en vacances dans la Drôme avec ma mère, nomades pour une longue période sans mon père qui restait à l’usine, nous explique ainsi l’artiste lors de notre visite. Hauterives était une destination culturelle pour cette jeune institutrice curieuse et son fils. Nous sommes à la fin des années soixante, j’ai six ans. Le château des géants, du sable, des coquillages, de la poussière, du soleil, de la fraîcheur, des grottes, des rires, du silence et se perdre dans le mystérieux de l’enfance. » Plus tard, en 1988, il reviendra sur ces lieux, toujours émerveillé, avec Clovis Prévost dans le cadre d’un film : Orange Sensation, qui questionne l’art populaire et l’art naïf.
L’exposition au Palais : le Rêve de l’eau
Cette proposition d’investir le Palais était donc pour l’artiste un rêve d’enfant mais aussi un véritable défi, car jusqu’alors aucun autre artiste n’était intervenu directement dans l’œuvre de Ferdinand Cheval. Alors comment faire côtoyer l’art contemporain et une œuvre aussi aboutie, aussi complexe que le Palais ?
Inspirée par les dessins préparatoires du facteur Cheval, l’intervention de Jean-Michel Othoniel est dans la droite lignée du songe de Ferdinand Cheval, à savoir un Palais tout en eau et fontaines. « L’eau coulait tout au long des murs : on versait l’eau avec des brocs sur la terrasse et elle s’écoulait par les coquilles dans les niches et dans la fontaine des laveuses » nous narre-t-on ainsi, comme en témoignent d’ailleurs les archives du Palais à travers les souvenirs de Julia Achard, employée entre 1908 et 1910.
L’artiste y a donc répondu par le fil de l’eau et le prisme de la lumière à travers son médium favori : le verre, s’inscrivant dans la tradition des maîtres verriers de Murano avec lesquels il collabore. Ainsi, la terrasse est ornée de plusieurs pots dans lequel le facteur Cheval plaçait des plantes et qui accueillent désormais les Oriflammes de verre conçus par l’artiste. Dix fontaines réalisées en verre de Murano et verre miroité indien sont présentées au pied des façades et six vitraux ornent portes et fenêtres de la galerie du Palais, directement inspirés par la profusion de la nature. Un clin d’œil à ces jeux de lumière à ce palais construit en grande partie la nuit à la lueur des bougies… « Où le songe devient la réalité »… comme l’écrivait le merveilleux facteur !
J.C
Le rêve de l’eau au Palais Idéal du Facteur Cheval
8, rue du Palais – CS 10008
26390 Hauterives
Entrée adulte 9,50 €. Entre 6 et 16 ans, 5,50€ .
Le Palais idéal accueille les visiteurs tous les jours, dimanches et jours fériés inclus sauf les 25/12 et 01/01 et du 15/01 au 31/01 inclus.
Le Palais est situé au centre du village, 8 rue du Palais à Hauterives dans la Drôme.
A 1h15 en voiture de Lyon, 45 min de Valence et 1h de Grenoble.