Cuisine
Restaurants en Aubrac : Cyril Attrazic fait vivre la terre d’Aubrac
12 SEPTEMBRE . 2022
Le métier de restaurateur implique une certaine générosité, mais celle de Karine et Cyril Attrazic a peu d’égal. Lui, fils, petit-fils et arrière-petit-fils de cuisiniers, chef étoilé depuis 2007 et couronné d’une étoile verte en 2020, a réinventé la notion d’aubergiste pour l’adapter à la cuisine gastronomique. En vrai ambassadeur de son terroir local, il s’est donné la mission de le faire vivre et dirige aujourd’hui l’un des tous meilleurs restaurants en Aubrac. On vous raconte ici son histoire, sa vision, sa quête. Rencontre.
Reprendre le restaurant familial
Cyril a grandi à Aumont-Aubrac, village étape à la sortie de l’autoroute A75 et lieu idoine pour un weekend dans la nature. Il a toujours su que son destin y serait lié. « Ma passion, c’était l’affaire familiale », et étonnamment moins la cuisine. Adolescent, il aidait ses parents en salle, pour comprendre les rouages du métier. Un jour, l’entreprise, fondée en 1928 par son arrière-grand-mère, serait entre ses mains. Après une formation dans l’école hôtelière du coin, puis à l’École Ferrandi à Paris, il passe un an chez Gérard Vié, illustre chef doublement étoilé des années 2000, puis chez Ducasse au 59 Poincaré, où il apprend à maîtriser la grande cuisine et l’art des jus, aux côtés de Jean-François Piège. Suit une expérience rapide à Londres dans un club privé, avant que le jeune cuisinier se sente enfin prêt à revenir au bercail. L’objectif est de faire évoluer le restaurant traditionnel en offre gastronomique.
Travailler avec Karine, son épouse rencontrée au village lorsqu’ils étaient adolescents, a toujours été une évidence. Ensemble, ils ont bâti ce que sont devenus aujourd’hui les trois restaurants : le gastronomique Chez Camillou, le bistrot Chez Linette, et la brasserie La Gabale, pour un total de 150 couverts.
Une vocation : faire vivre le terroir d’Aubrac et ses alentours
En bon ambassadeur de l’Aubrac, Cyril « se doit de le faire vivre ». Et le faire vivre, c’est aussi prendre le temps de le contempler. Lors de quelques moments privilégiés, il sillonne les sentiers, entre cascades, prairies, et ruisseaux, pour cueillir ces plantes et fleurs sauvages qui ne poussent nulle part ailleurs. Le narcisse, la gentiane, et la cistre – « les vaches d’Aubrac en raffolent » – finiront dans l’assiette Si l’Aubrac est riche en champignons et en plantes sauvages, elle n’est pas une terre de maraîchage.
Pour remédier à ces légumes trop tardifs, pas question d’opter pour la livraison : chaque samedi, à 5h30, le chef part avec son camion, direction le marché de Lodève, faire les courses de la semaine pour les trois restaurants. Un moment privilégié partagé avec un membre de sa brigade, qu’il souhaite sensibiliser à sa démarche. Une fois les commandes récupérées, il aime se laisser tenter par quelques produits improvisés, qui lui serviront d’inspiration.
Camion rempli, il passe souvent au retour chez Sylvain Mañana, son pisciculteur aux contreforts du Larzac, pour repartir avec quelques ombles chevaliers, car il tient à « servir presque exclusivement du poisson d’eau douce ».
À l’heure de la cuisine végétale : consommer la viande autrement
Sur ces terres, les vaches d’Aubrac, au museau blanc et aux yeux noirs comme maquillés de fard à paupières, sont chez elles. Les cousins germains de Karine, Olivier et Patrice Laporte, sont éleveurs, et ont imaginé avec Cyril un système tout particulier. Chaque année, vingt petits mâles lui sont réservés au lieu d’être envoyés en Italie. Ils seront castrés puis élevés pendant trois ans : deux printemps et automnes passés en estive à pâturer sur l’Aubrac, avant d’atteindre une phase finale d’engraissement très riche en oméga 3 et 6, à base de colza, d’huile de foie de morue, de graines de lin et de mélasse. Résultat : des bœufs à la santé de fer qui développent une chair persillée au goût incomparable.
Après avoir été débitées par le frère boucher de Karine – oui, les Attrazic aiment travailler en famille – les pièces du bœuf sont réparties entre les restaurants : les plus modestes sont destinées au bistrot, les plus charnues à la brasserie, et les plus nobles au restaurant gastronomique. « On arrive à tenir l’année en tuant un bœuf toutes les trois semaines, ce qui est relativement faible pour le débit qu’on a ». Cyril en a imaginé un plat d’anthologie, qui replace la bête « dans son écosystème », comme pour lui rendre hommage.
La pièce de viande est présentée dans son plus simple appareil, rôtie et laquée dans son jus réduit. Quatre condiments, inspirés de l’alimentation du bœuf, l’entourent : on retrouve la cistre, l’huile de foie de morue, les graines de lin et de blé croustillantes liées à la mélasse, et le colza. Si on s’essaye à la bouchée parfaite, on obtient cette légendaire cinquième saveur, un merveilleux umami qui explose sur le palais.
Chez Camillou
En salle, Karine supervise l’ensemble, talonnée par Mathilde, maître d’hôtel passionnée de fromages, qui a contribué joyeusement à étoffer le chariot, et Émeline, brillante sommelière tout juste âgée de 24 ans, qui ose faire des accords culottés avec des plats qui le sont déjà. En cuisine, Romain, son compagnon, seconde Cyril, et partage sa passion avec le même entêtement. Sur la table, défilent les créations prodigieuses.
La « Terre d’Aubrac » est un concentré du terroir : du bœuf déshydraté, des herbes et fleurs sauvages de saison, et une panna cotta au poivre fermenté. Les fraises au couteau, comme un tartare de bœuf, à l’échalote, câpres, et cornichons sont tout aussi saisissantes. L’omble chevalier de Sylvain, moelleux à souhait, est souligné d’un bouillon de carcasse, de géranium et d’acacia fermentés pour l’acidité, et d’un voile de lard pour la gourmandise. Et puis cette ode à la cueillette, qui unit les champignons frais du moment à ceux qui ne le sont plus, saumurés ou séchés, et recouverts de beurre de pomme de terre…
Une tradition subsiste : le sorbet citron gentiane et poudre de citron noir, servi comme un trou normand avant le plat de résistance. Pas d’inquiétude, vous aurez droit à votre aligot pour accompagner celui-ci.
Osez demander à Karine de le filer pour vous, elle s’en donnera à cœur joie !
Une histoire dans l’assiette
Cyril Attrazic tient à avoir une expression très personnelle de son terroir, avec cette modestie et cette générosité qui le caractérisent tant. « Je veux que l’on retrouve une traduction très identitaire du territoire qui nous entoure ». Si sa cuisine est aussi bouleversante, c’est parce qu’elle résume son histoire avec une profonde sincérité, pour laisser place à l’émotion. Sa quête ? Provoquer chez le dégustateur un sentiment inattendu, et pourquoi pas lui décrocher une larme – comme, on vous l’avoue, il nous en a décroché une. Peut-être la plus belle récompense pour un cuisinier. En tout cas, la plus belle manifestation de ce qu’est la grande Cuisine.
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V.S