Gastronomie
La folie de la fée verte, une histoire de l’absinthe en France
26 OCTOBRE . 2022
A la Belle Époque, une fièvre s’empare de la société européenne. La fée verte, appelée également la bleue, distillation d’une plante connue depuis l’Antiquité qui va conquérir le cœur des Français dans toutes les classes sociales. Pour endiguer le phénomène, il faudra aller jusqu’à l’interdire, donnant ainsi naissance au célèbre Pastis. Retour sur l’histoire de l’absinthe.
L’absinthe est connue en tant que plante médicinale depuis l’Egypte antique. Elle est d’ailleurs aujourd’hui encore largement consommée en remplacement de la menthe pour parfumer le thé en hiver. On la trouve sous sa forme d’herbe aromatique sur les marchés du Maghreb, le procédé est le même, on y ajoute du thé et du sucre et on la consomme chaude.
Si les Égyptiens lui prêtaient des vertus médicinales, les Grecs l’emploie comme aphrodisiaque. Pour les Romains elle sera également thérapeutique. Hildegarde de Bingen la recommande comme vermifuge auprès des enfants.
La route vers la distillation.
L’absinthe ne sera distillée officiellement qu’à partir du XVIIIe siècle, dès le début elle est enrichie d’anis vert et de fenouil et c’est en Suisse qu’elle verra le jour. D’après la légende, c’est un certain Pierre Ordinaire qui aurait mis au point la recette en 1792. De plus récentes recherches montrent que c’est une herboriste suisse, Henriette Henriod qui en serait à l’origine.
Elle aurait mis au point la distillation de l’absinthe afin d’en créer un remède. C’est un certain Major Dubied qui aurait récupéré la recette auprès d’Henriette Henriod, développant dès 1797 la production industrielle d’absinthe distillée. C’est à Couvet en Suisse qu’il se lance avec son gendre, Henri-Louis Pernod. Plus tard celui-ci se détachera de son beau-père et lancera à Pontarlier, une distillerie à son nom qui deviendra mondialement connue.
Popularisation sur le zinc.
Au départ, l’absinthe est assez confidentielle et coûte cher. On la consomme essentiellement chez les bourgeois et la différenciation qui existe entre boisson de plaisir et médicinale n’est pas encore établie. Ainsi, lors de la campagne d’Algérie sous le règne de Charles X, l’absinthe est largement consommée par les soldats afin de se prémunir de la dysenterie et de la malaria.
En rentrant aux pays, les militaires propagent très largement l’absinthe dans toutes les régions de France et très vite, la fée verte va s’imposer comme étant la boisson à la mode. Lors de la guerre franco-prussienne de 1870 et 1871, toute la France ne boit plus que de l’absinthe. Elle passera de 6713 hectolitres en 1873 à 350 000 en 1909. Le succès est incommensurable.
Vers l’interdiction.
Van Gogh ou encore Toulouse Lautrec vont en payer les frais. Emile Zola dénonce déjà les risques liés à sa consommation et de nombreux scandales liés à des intoxications à l’absinthe explosent. Des contrefaçons apparaissent provoquant de graves maladies, voire la mort.
En 1905 en Suisse, un ouvrier abuse de l’absinthe et tue sa femme. Les cantons votent l’interdiction de la consommation d’absinthe et la France va lui emboîter le pas 10 ans plus tard.
A l’époque, les ligues anti-alcooliques menées de front par Louis Pasteur mais aussi l’église et de nombreuses associations partent en guerre. C’est officiel : l’absinthe rend fou et il faut l’interdire.
Le 16 mars 1915, s’en est fini de l’absinthe. Celle qui inspira Manet, Degas, Picasso, Mucha ou encore Verlaine est retirée de tous les débits de boisson et les usines de production se voient interdites d’en produire une seule goutte de plus. La famille Pernod va rebondir en lançant l’anisette. A Marseille, Paul Ricard va inventer le Pastis dont le succès sera retentissant.
Très vite, la nouvelle boisson en vogue gagnera le succès de tout le pays et de ses colonies. On en boit partout et beaucoup. Lui aussi sera interdit un temps sous le régime de Vichy. Il n’empêche que l’absinthe fait quelques apparitions discrètes chez les bouilleurs de cru de contrebande mais la Belle Epoque est achevée et bien qu’illicite, la mode de l’absinthe ne refait pas surface et on lui préfère le Pastis toujours mais aussi d’autres anisettes venues d’ailleurs comme l’Ouzo, l’Arak ou le Raki.
Le renouveau de l’absinthe.
A la fin des années 80, l’histoire de l’absinthe prend un nouveau tournant : la question est de nouveau étudiée et en 1988, sa production sera autorisée. En Suisse il faudra attendre 2005. C’est par la culture que l’absinthe trouvera un nouveau public, les légendes qui l’entourent et surtout le rituel de sa consommation, celui du verre qui se trouble, de la fontaine à absinthe et du sucre à travers lequel passe le breuvage.
Tout un imaginaire présent dans la peinture, la poésie et plus tardivement les films ou les bandes dessinées qui va séduire un public jeune en quête de sensations fortes.
Désormais l’absinthe s’est démocratisée sans avoir jamais retrouvé le succès de la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui les consommateurs d’absinthe apprécient la fée verte pour ce qu’elle est, une boisson richement parfumée et élégante mais aussi pour sa légende tendancieuse.
Boire de l’absinthe c’est un peu comme jouer à la roulette russe bien qu’aujourd’hui la production soit très encadrée et ne représente pas plus de risque que n’importe quel autre spiritueux.
De nombreux produits dérivés existent comme des chocolats parfumés à l’absinthe et les pays d’Europe de l’est mettent un point d’honneur à créer des absinthes dont le taux d’alcool est toujours plus important. Les touristes du monde entier affluent dans les boîtes de nuit de Prague afin de goûter aux plus fortes possibles et imaginables.
L’absinthe est devenue au nom de sa réputation sulfureuse, la boisson de tous les excès et des concours vulgaires entre étudiants, rompant ainsi avec son âme romantique de la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui boire de l’absinthe c’est jouer avec sa vie, la réalité a rattrapé les craintes d’autrefois car l’absinthe de la Belle Époque n’était pas aussi forte que celle d’aujourd’hui. Certaines atteignent même le degré de l’alcool à brûler. Une autre manière de consumer son existence.