Cuisine
Discorde et héritage commun dans l’assiette ; À la table des Anglais et des Français.
28 OCTOBRE . 2022
« Always blame the French » (Dénigrez toujours les Français) est une maxime vieille de dix siècles. Aujourd'hui le French bashing atteint des sommets de mauvaise foi et d'amnésie culturelle. Les raisons qui divisent nos deux nations, France et Angleterre sont innombrables, de Guillaume le Conquérant à Mers el-Kébir en passant par Azincourt, Jeanne d'Arc, Trafalgar ou encore Waterloo. Si pour eux nous sommes des froggies, ici nous les affublons volontiers du sobriquet de rosbeef ou rosbif comme on l'écrit en France. Au cœur d'un conflit vieux comme le monde se trouve, entre-autre, la nourriture. Les Français possèdent la meilleure du monde et les Anglais, la pire. En tout cas c'est ce qu'on aime penser de ce côté de la Manche. Pourtant, beaucoup de préparations culinaires sont à la fois sujet de discorde et héritage commun, tâchons d'y voir plus clair.
Pour un Anglais, pas besoin d’aller chercher une noix de coco pour manger quelque chose d’exotique. Cuisses de grenouilles, escargots, lapin, tout ce qui nous a un temps régalé est sujet de railleries.
Au commencement, une histoire de grenouilles.
Pour les résidents du Château de Versailles d’avant la grande Révolution de 1789, le peuple de Paris ne parle pas, il croasse. Ce patois est surnommé « langage de la Grenouillère », il faut dire qu’à l’époque une partie des quais de la Seine sont encore des berges marécageuses où il est fréquent de cohabiter avec de bondissants batraciens. Avec la fuite des élites vers les capitales d’Europe, l’expression s’est diffusée, surtout à Londres (en terrain déjà conquis). La gentry s’en empare et consacre l’expression.
Avec le sentiment anti-français qui va vivement se réveiller sous le Premier Empire, les Français deviendront purement et simplement, les froggies aux yeux des Britanniques. Jamais nous ne mangerons pareille chose pensaient nos amis Anglais.
Il faut dire qu’en plein contexte des guerres napoléoniennes, ces derniers avaient pendu un singe à Hartlepool pensant qu’il s’agissait d’un espion français. S’ils prennent un macaque pour un marin de Robert Surcouf, il n’est pas étonnant qu’ils nous prêtent d’étranges mœurs dont ils ne veulent même pas entendre parler.
Un comble car récemment, des archéologues anglais ont découvert des os de grenouilles parmi les restes de plusieurs repas remontant à 7 000 ans avant J.-C. Les habitants de la région de Stonehenge sont à ce jour les plus illustres mangeurs de cuisses de grenouilles du monde.
Tortue en boite.
Toujours sous la Révolution, l’illustre gastronome Jean Anthelme Brillat-Savarin va également fuir la France pour rejoindre Boston. Aux Amériques il sera même surnommé le Prince of Soups car celui-ci n’est pas arrivé les mains vides. Il apporte avec lui des trésors de recettes insoupçonnées de ce côté du Globe. La soupe de tortue fera sa renommée et après avoir conquis Boston, elle rencontrera un succès fracassant au Royaume-Uni.
Faute de tortue, les Anglais inventent la Mock Turtle Soupe ou fausse soupe de tortue qui inspirera la facétie de Lewis Carroll dans son Alice au pays des merveilles. Encore populaire en France grâce à Antonin Carême, la soupe de tortue devenue soupe de tête de veau aux écrevisses va disparaître des tables du pays alors qu’elle sera commercialisée à grande échelle en Angleterre grâce à l’invention française de Nicolas Appert en 1810, la boîte de conserve.
Animaux de compagnie, à table comme ailleurs.
Le lapin de garenne est apprécié des peuples latins depuis l’Antiquité et probablement depuis bien plus longtemps encore. Son élevage s’est développé au début du XIXe siècle et les Anglais s’y sont mis aussi, afin de nourrir facilement la population.
Un interdit sera rapidement promulgué dès lors que le petit animal deviendra également de compagnie. Une contradiction qui dérange moins les Français. Depuis, outre-manche on s’est remis à croquer du lapin. La mésentente n’aura duré qu’une paire de siècles.
Autre rapport à la domestication des espèces, les Anglais n’aiment pas les escargots, en tout cas, pas en persillade car pour ce qui est des courses de vitesse, pas de problème, le gastéropode a conquis le coeur des Britanniques à défaut d’avoir séduit leurs estomacs.
S’ils trouvent la consommation d’escargots répugnante, ce n’est valable qu’aux tables anglaises car en goguette à Paris, ce sont surtout des Anglais que l’on retrouve aux tables de L’Escargot de la Rue Montorgueil.
Anglicisme à la moutarde.
Eggs and bacon please ou plutôt des œufs et du bacon s’il vous plaît. Le mot bacon vient du baconnier, le marchand de lard, issu lui-même du francique bakko qui signifie dos, là où se prélève justement le lard. Les Anglais vont s’approprier le mot comme le procédé charcutier.
Ils en feront même un patronyme, nous connaissons tous Francis Bacon ou encore Kevin Bacon. Manger une tranche de bacon frit à la poêle, c’est donc manger Français messieurs dames.
La moutarde est française, ou plus exactement italienne, mais celle de Dijon que nous connaissons tous à travers le monde est bien française.
Mais la French’s Mustard ou moutarde française est américaine et connue à tort dans les pays anglo-saxons dont l’Angleterre comme étant issue d’une recette venue de chez nous. Goutez et comparez.
Le filet de bœuf en croûte le plus célèbre du monde, consacré par Gordon Ramsay n’est autre que le filet « Wellington » du nom du célèbre Duc du même nom, héros de la lutte contre l’Empereur Bonaparte.
Cette préparation qui n’est d’ailleurs pas contemporaine du Duc est française puisqu’elle se rapproche d’une recette déjà en vogue à Paris bien avant sa popularisation en Angleterre. Ce n’est ni plus ni moins que de la réappropriation culturelle.
Au pays du bouilli et du on the grill.
De notre point de vue, les Anglais sont des mangeurs de viande bouillie et nous savons tous que le bouilli ce n’est pas le meilleur traitement que l’on peut réserver à notre morceau préféré. Hors, le bouilli est historiquement typiquement Français, alors que le grillé, lui, est bien Anglais. Les races anglaises de bovins ou de porcs se prêtent mieux aux cuissons rapides, c’est d’ailleurs pour ça que nous avons progressivement introduit des races comme l’Angus au détriment de nos vaches endémiques.
L’Anglais du XVIIe manque de temps, il est trop occupé à envahir le monde entier, il lui faut une nourriture substantielle et rapide à préparer. On découpe un steak et on le fait griller. En France où les bovins sont depuis toujours associés au travail des champs, on laisse vieillir sa vache et quand vient le temps de la manger, il faut la faire cuire longtemps et doucement, ce que nous appelons ici un pot-au-feu ou un bœuf bourguignon par exemple. Asterix et Obelix nous ont induit en erreur, la viande bouillie est bien Française, mais quel bouilli !
La laitue serait-elle plus verte dans l’assiette du voisin ? A moins que l’on considère à raison ou non que ce qui se trouve devant nous est largement supérieur à ce qu’engloutissent les hordes barbares vivant hors de nos contrées. La définition du bon est variable car si personne n’aime mal manger, la manière dont on apprête les mets et ceux que l’on consomme est parfois très différente.
Français et Anglais partagent autant que de choses les séparent mais désormais avec la globalisation du monde, de la culture et des préférences culinaires, nous voilà tous plus ou moins logés à la même enseigne. Alimentation infantile et anglo-saxonne d’un bout à l’autre du monde. Le lapin à la provençale se déguste à Londres, comme le full à Paris mais qu’importe, nous trouverons bien quelque chose à reprocher à notre voisin et ce, encore et toujours. Ne dit-on pas que qui aime bien châtie bien ?