Gastronomie
Rencontre avec Xavier Vignon
Oenologue, assembleur, vigneron… et la nature pour seule philosophie
04 JANVIER . 2023
Voilà maintenant 26 ans que Xavier Vignon a déposé ses valises en plein cœur du Rhône Méridional. Ce qui l’a conquis ? Le paysage, bien sûr. Mais pas seulement. Il y a aussi la richesse de la terre, la diversité des sols, des expositions, des vents et des températures qu’offre ce coin de France. Œnologue, consultant, assembleur, il est aussi vigneron à sa propre enseigne et exploite ses 30 hectares de vignes, acquises sur les plus beaux terroirs des Dentelles de Montmirail.
« Je n’avais pas prévu de me réinstaller en France, mais quand j’ai découvert la pierre des dentelles, j’ai succombé à leur charme ».
En fils, petit-fils et arrière-petit-fils de compagnons tailleurs de pierre, Xavier Vignon ne pouvait qu’y être sensible. Lui qui a fait le tour de la France, avant de s’attaquer au monde entier, c’est entre deux voyages qu’il a découvert la vallée du Rhône. Il ne l’a jamais plus quittée.
Le vin, comme une évidence
Peu manuel, scientifique dans l’âme, c’est la rencontre avec un œnologue qui l’a guidé vers ce métier. Sa passion pour la nature, il l’a cultivée avec ses deux amis d’enfance, Philippe Le Granger et Gérard Le Comte, créateurs d’un club de paléontologie.
Après avoir étudié l’œnologie à Montpellier, une jolie expérience dans une grande maison champenoise l’a poussé à aller voir un peu plus loin, en France, puis en Californie, en Asie, et en Australie, cumulant treize vendanges en 7 ans, sur 3 continents.
En s’installant ici, Xavier commence d’abord par faire du conseil pour une centaine de propriétés de la région. En 2003, l’IOC (Institut Œnologique de Champagne) lui offre la direction d’un laboratoire œnologique à la clientèle historique sur Châteauneuf-du-Pape.
Son équipe s’agrandit rapidement, le nombre de domaines se multipliant dans la région, à l’époque où le Rhône avait encore mauvaise réputation. Déjà dans les années 90, il met en place des approches parcellaires, passionné par la diversité géologique de ces terroirs. Et rapidement, l’idée de créer ses propres vins germe…
La richesse minérale des dentelles de Montmirail
Sa grande fierté, c’est sa parcelle située dans la plus haute partie des dentelles, dans l’appellation Gigondas, juste en dessous de cette pierre née d’un glissement des plaques tectoniques, enfouies sous terre il y a des millénaires, et remontées à la surface à la façon d’une tarte tatin. D’un coup d’œil à droite à un regard vers la gauche, le paysage change complètement, tout comme la couleur de la terre.
« On trouve ici une vingtaine de sols différents ». De ce mouvement est né un terroir d’une incroyable richesse minérale avec des sables et grès de l’ère tertiaire, des calcaires et marnes du Jurassique et du Crétacé.
Cette diversité, Xavier en a fait sa marque de fabrique. Chaque appellation a ses propres caractéristiques. À Beaumes-de-Venise, on trouve du sable, anciennement safre grésifié. À Châteauneuf, des galets roulés millénaires posés sur de l’argile, ancien lit du Rhône, qui s’est rétréci avec le temps. Sur les hauteurs des dentelles, de la marne grise.
Et tout là-haut, à Gigondas, ce fameux mélange d’argile et d’éboulis calcaire provenant des montagnes, qui dominent fièrement la vallée. Sur une même appellation, les terroirs changent aussi d’une parcelle à une autre. « La pierre produit de grands écarts de température entre le jour et la nuit, facteur de développement des tanins. Les sols stables en température, comme à Châteauneuf, préservent le fruit, tout en gardant une belle fraîcheur, ce qui justifie son prix ! ».
Une analyse très personnelle du réchauffement climatique
Le travail du vigneron, Xavier en est intimement convaincu, n’est désormais plus sur le vieillissement mais sur le ralentissement du temps. « Il y a 20 ans, on se battait pour avoir un taux d’alcool suffisamment élevé, alors qu’aujourd’hui, on a 1,5 à 2 degrés d’alcool de plus, en vendangeant 2 à 3 semaines plus tôt ».
Le degré d’alcool, c’est aussi le sucre, que l’on veut contrer aujourd’hui avec de l’acidité, là où il en manquait auparavant. Le réchauffement climatique a redessiné les cartes vinicoles dans le monde. Pour Xavier, « l’avenir c’est d’aller chercher vers le Nord ou vers l’altitude » à l’heure d’une sécheresse accrue et des vendanges anticipées dans toutes les régions de France, « pourquoi pas jouer avec de la Syrah en Bourgogne ».
Cette réflexion s’exprime dans sa cuvée Almutia Clair-Obscur, un « blanc de noirs » – pratique normalement réservée à la Champagne – en appellation Châteauneuf-du-Pape… Du jamais vu pour la région ! « J’ai profité du vide juridique du cahier des charges qui ne précise pas la couleur du vin ».
Pour atteindre cette fraîcheur tant recherchée, Xavier a eu l’idée inédite d’utiliser les cépages préconisés, en enlevant rapidement les peaux après la première presse pour ne garder que les premiers jus blancs, et ainsi préserver toute la fraîcheur et l’acidité qu’on a de plus en plus de mal à obtenir avec les cépages blancs. « L’avenir du Rhône blanc est compliqué, cette pratique est peut-être une solution pour le futur ».
Consultant, œnologue, vigneron
L’exploration de nouvelles expériences est devenue le leitmotiv de Xavier Vignon. Au-delà des Wine globes, contenants en verre de 200 litres, dont il se sert pour élever certaines cuvées, il a mis au point sa propre technique d’élevage.
Le Vinarium, contenant de 7000 litres fait de bois et d’inox, peut accueillir en son sein 5 barriques de 200 litres chacune, immergées elles-mêmes dans du vin, pour profiter d’un environnement fait de 100% d’humidité, et conserver ainsi la plus pure expression du vin.
Ses créations s’étendent sur quatre collections, issues de 7 appellations différentes : Exclusive, Terroirs, Privées, et Arcane qui rassemble des cuvées entre assemblage de millésimes, techniques de vinification ou d’élevage innovantes, ou bien parcelles triées sur le volet, sans règle préconçues.
Il poursuit parallèlement son activité de consultant auprès de 200 propriétés, à laquelle il a ajouté ce petit brin de malice qui lui permet de « faire du vin avec les copains, et pour les copains ». Certains lui ont cédé des parcelles dont il se charge lui-même, d’autres des raisins, d’autres encore leur vin… avec lequel il fait sa propre tambouille, dans son chai de Châteauneuf-du-Pape.
En 2023, un tout nouveau chai ouvrira ses portes, dans le village mythique de la Roque-Alric, un nouveau terrain de jeu qu’il trépigne d’inaugurer.
La nature pour seule philosophie
« Il faut d’abord vivre par et dans les règles pour apprendre à s’en affranchir avec méthode ». De ses trente ans d’expérience, Xavier Vignon dispose aujourd’hui d’informations qui lui permettent d’avoir une vision stable pour un avenir pérenne de la culture vinicole.
S’il a fait le choix de ne pas irriguer ses vignes pour les laisser s’exprimer par elles-mêmes, et que l’ensemble des vins produits sont issus de pratiques raisonnées (ils seront intégralement en agriculture biologique dans 5 ans), « cela ne suffit plus ».
« Même si l’on renonce à l’insecticide et à l’herbicide, il reste le souffre et le cuivre, eux aussi polluants pour les sols. » La quête de Xavier, c’est d’approcher au plus près cette pureté tant recherchée, une citation de René Char en ligne de mire, « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ».