Cuisine
Portrait et rencontre avec Aurélien Rivoire, le chocolatier alchimiste
20 AVRIL . 2023
Il existe des professions qui en appellent à des traits de caractère tout à fait spécifiques. La pâtisserie et la chocolaterie font appel à des valeurs de générosité, de tendresse et de réconfort. Ce sont aussi des produits qui rythment les événements de la vie : fêtes, moments heureux, petits plaisirs du dimanche en famille ou coupables en solitaire. Ceci dit, pour faire un grand pâtissier et/ou un grand chocolatier, il faut aussi de la rigueur, le sens du perfectionnisme et une grande maîtrise de savoir-faire variés. C’est un métier où le hasard ne trouve que peu sa place, la précision est de mise pour obtenir des résultats sublimes. Mais plus qu’une chimie c’est une alchimie, car la simple application rigoureuse d’une recette ne suffit pas. Il faut de l’âme et du sentiment, sinon le résultat manquera d’ampleur. Nous avons eu la chance d’échanger avec un grand chocolatier, remarquable de par la qualité de sa proposition, mais aussi de par la vertue de sa démarche. Portrait d’Aurélien Rivoire de la maison Alléno et Rivoire à Paris.
Transmission et héritage
Le goût des bonnes choses c’est souvent une histoire de transmission. En effet, le palais est formé, éduqué par l’expérience que l’on nous offre des bons produits, des bonnes recettes et des bonnes choses faîtes avec passion et soin. Né dans la commune de Chasselay, très proche de la ville de Lyon, Aurélien Rivoire a bénéficié de cette initiation, notamment par son grand-père, qui ne vendait ses fruits (pêches, pommes et poires) que le jour même de leur cueillette pour en préserver la qualité et le goût. Des « souvenirs » d’enfance, qui ne restent pas relégués au rang de chimères mais deviennent des valeurs profondément ancrées et qui allument encore aujourd’hui de belles lumières dans les yeux d’Aurélien Rivoire quand il parle de ces marqueurs familiaux.
Mais dans l’histoire d’une vie, c’est la succession de rencontres qui font la beauté du parcours. A Neuville-sur-Saône, en boutique celle de Mr Sommereux, à Lyon de Anthony Bonnet, puis à Paris celle de Mr Sanderens (et donc Jerôme Banctel) et enfin l’arrivée au Meurice.
C’est là qu’a lieu la rencontre, fondamentale, avec Yannick Alléno. L’opportunité de rencontrer quelqu’un qui nous éclaire par sa vision et son expérience est souvent le seuil de ce qui permet l’éclosion de nos propres talents. La rencontre à lieu au Meurice, s’est poursuivie au 1947 à Cheval Blanc le restaurant alpin du chef Alléno, et enfin épanouie au sein du Pavillon Ledoyen pendant 8 années partagées en tant que chef pâtissieur exclusif du restaurant. Des années pendant lesquelles l’esprit d’excellence mais aussi d’innovation qui caractérisent la démarche de Yannick Alléno prendront racines dans la carrière de Aurélien Rivoire.
Une quête des produits justes et du goût
Bien sûr, il y a cette proposition de faire quelque chose d’aussi bon, mais de moins sucré. On pourrait mettre en avant l’argument (très juste) de faire plus sain et donc plus vertueux. Ce qui est tout à fait notable et qui ne rend la dégustation que plus exquise. Mais c’est surtout le fait de ne faire aucun compromis sur l’excellence, la gourmandise et bien sûr le goût qui rend l’expérience absolument convaincante. Les certitudes sont bousculées, pas de repentance, de dégustation timide et sévère, pas d’esprit de contrition pour le bien manger.
Surtout, pas de déception. Au contraire, c’est l’émerveillement, les sens sont attisés, les goûts sont francs mais raffinés, d’une façon tout à fait sublime car ce sucre auquel on est tant habitués ne vient plus tout « poisser ». Vous verrez, beaucoup d’autres chocolats vous sembleront frustres et pesants après avoir goûtés ceux d’Alléno et Rivoire. Les fruits « confits » le sont de par leur teneur en sucre naturelle car ils sont cueillis au juste moment et de par l’usage de l’eau de bouleau. La prouesse tient à la réussite gustative, certes, mais aussi par la démonstration objective d’une innovation concrète dans le monde de la chocolaterie. L’index glycémique de l’eau de bouleau est de 7, celui du sucre « classique » est de 70. C’est par « hasard », en passant devant une pharmacie, avec un esprit éveillé car en recherche d’alternatives pour ses créations, qu’Aurélien Rivoire s’est intéressé à ce produit et en a découvert les possibilités gastronomiques.
Perfectionnisme et réflexions de chefs
C’est peut-être le fait de ne pas être chocolatiers qui permet au duo de proposer des créations aussi exceptionnelles. Chaque saveur évoquée est justement représentée et reconnaissable. Celle du chocolat d’abord, tout en finesse, un voile qui marque le palais de par son goût mais aussi sa texture. Vient ensuite la saveur de l’ingrédient convoqué et sa métamorphose dans une consistance magnifiée. Ingrédient sourcé pour ses qualités et son terroir d’origine, mais aussi utilisé au juste moment (de maturité) et présenté dans une logique saisonnière à la dégustation. Bien sûr, on ne peut que relever cette démarche, consciente et engagée. Il y a un esprit qu’il faut saluer, quand on connaît l’usage de produits industriels et standardisés, même chez de grands noms de la confiserie et de la pâtisserie. Puis vient cette symbiose et cette recherche qui caractérise les deux hommes.
On pourrait citer l’exemple bien connu du travail du chef Yannick Alléno sur les sauces, dont Aurélien Rivoire parle très bien. Ces sauces qui restent classiques, authentiques, et qui sont donc « justes » tout en étant le fruit d’un esprit novateur avec une façon inédite de penser « l’extraction du goût » (obsession propre certainement à tous les grands cuisiniers de l’histoire de la Gastronomie Française). La modernité ne se trouvant pas dans la destructuration, l’originalité à tout prix ou le travestissement mais plutôt dans l’apport d’un esprit éduqué et exigeant à ce qui le précède et à ce qui le suivra, sans dénaturation mais avec innovation. C’est certainement une pensée qui reflète le parcours d’Aurélien Rivoire, l’enfance bien sûr, mais aussi le passage en boutique avant d’officier en maisons étoilées. L’exercice et les logiques ne sont pas les mêmes. Le restaurant étoilé, convoque une logique tout à fait particulière, le tour de force est renouvelé chaque jour, la brigade fonctionne comme un corps à la fois uni et sous tension ultime, l’exigence est démente et la performance relève souvent de la folie furieuse. La barre est placée toujours plus haut, dans une valse sans fin pour atteindre et maintenir une ascension sans faille. Et la compétition est rude. Une boutique est un écrin, plus calme, moins vibrant, où l’on prend son temps pour choisir ce que l’on dégustera dans un moment plus intime à la temporalité choisie et singulière. C’est une parenthèse. Transcrire donc la grammaire d’un étoilé, l’esprit de témérité et de respect propre à Yannick Alléno, et des valeurs tout à fait louables chères à Aurélien Rivoire, pour créer des chocolats comme ceux que vous pourrez déguster chez Alléno et Rivoire, c’est offrir, véritablement, une nouvelle expérience sensorielle pour ceux qui pousseront la porte de cette chocolaterie.
Pralinés, ganaches, petites meringues et sablés
Les pralinés, sablés à l’eau de bouleau, relevé comme il se doit d’une pointe de sel, révèlent une texture et une finesse incroyable (graines de lin, amandes brutes, noisettes avec éclats de sablés bretons, noix de pécan et riz soufflé). Tout est fabuleux (avec un petit coup de cœur quand même pour le praliné aux graines de lin). Les ganaches sont sublimes, comme les pralinés l’enveloppe de chocolat est juste de la densité nécessaire à ouvrir le palais, avant de fondre de plaisir avec ses merveilleuses « pommades » (notamment thé Earl Grey, miel de sapin, noix de muscade, café, Grand Cru Indonésie 75%, Grand Cru Pérou 60%, vanille de Tahiti).
Ceci dit, on a vraiment eu un coup de foudre pour les sticks et notamment les parfums pistache salée, cacahuète grillée et noix de coco torréfiée…là encore la texture est celle d’un praliné, quoi de plus gourmand et à même de mettre en valeur ces ingrédients ? Mais surtout, surtout, il ne faut pas passer à côté des petites meringues à l’eau de bouleau et enrobées de chocolat, elles sont incroyablement légères et délicieuses, disparaissant comme un délicat nuage…et enfin, sa majesté le sablé, un classique « simple », bien connu de tous. Là, nous vous l’assurons, vous ne résisterez plus jamais à la tentation d’en « prendre un en passant ». Sablé comme il se doit, riche, fondant, sublimé d’une saveur de beurre que l’on dirait noisette, ils sont irréels de bonté. On y pense encore…
Luxueuse sobriété
Une signature, aussi, la sobriété si élégante des packagings, expérience luxueuse et liée à son produit phare, un carton velouté dans des couleurs chaudes de cacao. C’est peut-être ça le plus troublant, ce luxe de l’authentique, des produits nobles et bruts à la fois, qui ressemble pourtant beaucoup à l’histoire des grands produits de la gastronomie (chocolat donc, mais aussi caviar, truffe et tant d’autres, ils traversent les couches les plus modestes de la société, deviennent ceux d’une élite et sont parfois traités au mieux par des artisans abordables). Car oui, ces chocolats sont abordables, n’ayez pas l’esprit mal placé, ils le sont quand on parle de véritables bonbons de chocolat, le reste ne rentre pas en ligne de compte évidemment. La leçon est toujours la même, moins mais mieux, car une qualité pareille procure une satisfaction bien plus grande que du médiocre.
Ne vous y trompez pas, le véritable privilège dans cette histoire, c’est de pouvoir s’offrir quelque chose de rare, un chocolat dont il ne vous faudra pas de grandes quantités mais un instant consacré pour satisfaire tout à la fois votre palais, votre esprit et votre cœur. Ce dernier n’étant pas négligeable. Un chocolat qui nous rappelle l’excellence française en matière de gastronomie, de douceurs et de savoir-faire culinaires, devenue trop rare. C’est un moment de plaisir à part dont il ne faut pas se priver, la vie est trop courte pour passer à côté de merveilles pareilles.