Art
La manufacture de tapisseries Robert Four à Aubusson signe une collaboration avec Laurent Grasso
09 AOûT . 2023
Au nombre des exceptions françaises dont on peut se targuer, figure l’art de la tapisserie. Une expression artistique longtemps considérée comme désuète et qui ne cesse de regagner ses galons. La preuve avec cette collaboration entre la Manufacture Robert Four et l’artiste contemporain Laurent Grasso !
Participant grandement au renouveau des arts décoratifs français, les manufactures nationales de tapisserie logent toujours à la même enseigne du côté d’Aubusson, petit village de la Creuse. Non, non, rien n’a jamais changé ou presque dans cette petite commune située à plus de 500 mètres d‘altitude. On y évolue dans un drôle d’espace temps : les ateliers sont toujours en service, les lissiers, ici lissières, toujours en poste.
Dans une ère survoltée, visiter ces lieux s’apparente à un voyage dans le temps mais surtout un moment d’ancrage dans le présent. Toujours les mêmes gestes, sur les mêmes métiers à tisser et un savoir-faire qui se transmet de génération en génération, avec en prime beaucoup de passion.
Chaque maison a sa façon et à la Manufacture Robert Four que nous visiterons à l’occasion du tombé de métier de Laurent Grasso, la tapisserie se fabrique encore selon un tissage artisanal d’après un carton de l’artiste.
Si les cartons anciens sont toujours utilisés, la Maison se tourne également- à l’initiative de Patricia Racine sa directrice artistique depuis 10 ans- vers l’art contemporain collaborant avec des artistes tels que Pierre Marie, Hervé di Rosa, ou encore Christian Astuguevieille. L’occasion pour les petites mains de fées des lissières de se confronter à la création actuelle et relever le défi de la modernité ! Visite.
La Manufacture Robert Four, une des dernières héritières des Manufactures d’Aubusson élevées au rang de Manufactures Royales par Colbert, est en activité depuis 1952.
Fondée par Robert Four, à qui elle doit son nom, la Manufacture se niche dans un grand bâtiment bordé par les eaux cristallines de la Creuse grâce auxquelles les fils de laine, de soie, de coton sont teints avec les quelque 900 coloris disponibles.
Car pour tisser, il faut bien sûr des fils, mais aussi et surtout une connaissance rigoureuse des couleurs ainsi qu’une grande dextérité : on estime généralement à 10 le nombre d’années avant de parvenir à maîtriser respectivement l’art de la teinture et celui du tissage.
Les tapisseries, entièrement réalisées à la main sur des métiers de basse lisse (haute lisse pour les tapis) sont le fruit d’un travail collectif : tandis que les artistes fournissent l’iconographie (le carton), les teinturiers s’attellent à produire les nuances les plus précises « à l’œil » et les lissières à tisser le plus fidèlement possible la tenture d’après modèle.
Le modèle ici, c’est une oeuvre du plasticien Laurent Grasso et le moment est venu de découvrir le résultat d’un travail de longue haleine (comptez 930 heures de travail pour le tissage et 1450 heures pour la mise au point, la teinture etc), grâce au fameux tombé de métier.
Ce rituel durant lequel on découpe les fils de chaîne pour libérer la tapisserie du métier, flirte avec la métaphore du coupé de cordon ombilical. C’est la naissance de l’œuvre après des mois de travail, sans avoir de véritable visibilité préalable puisque le tissage s’opère à l’envers, ne laissant entrevoir que des bribes de l’œuvre au fur et à mesure de sa réalisation.
Le résultat est spectaculaire : dans une cité ancienne, deux cavaliers casqués et tournés vers l’intérieur de la scène conduisent notre regard vers une masse aussi vaporeuse qu’énigmatique. Rattaché à la série des « Studies into the past » présentée chez Perrotin, cette nouvelle œuvre de Laurent Grasso s’inscrit dans un processus de réflexion autour de la notion du temps pour créer une « fausse mémoire historique », brouillant les pistes entre l’ancien et le contemporain.
Si la référence à la peinture flamande et italienne des XV et XVIème siècle est évidente, des éléments étrangers, célestes ou météorologiques, viennent perturber la lecture de l’œuvre. Ici c’est un nuage tout en dégradé (15 couleurs qui vont du blanc au bleu noir) qui parcourt l’image. Un nuage qui se meut lentement vers le fond donnant à la fois un effet de mouvement, de profondeur et de perspective.
Une prouesse de réalisation qui nous rappelle cette scène absolument merveilleuse du phénomène nuageux du serpent de Maloja filmé dans Sils Maria par Olivier Assayas. Une tapisserie qui produirait l’effet d’un plan de cinéma, tout en singeant les modèles anciens ? C’est dire combien l’exploit est réussi. Le cahier des charges était intransigeant : il s’agissait de faire des effets de tapisseries anciennes et retrouver le relâchement de la tapisserie et de ses usures au fil des ans, tout en incorporant un nuage, pas simplement posé, mais avec un effet aérien et tout en volume. Un exercice de style, tout autant qu’une expérience pour les créateurs et les spectateurs.
Comme l’espérait Laurent Grasso « Ici le spectateur est pris en suspens devant quelque chose qui le stoppe dans son action et qui ralentit son rapport au temps. Il y a l’idée de voyage à travers le temps qui fait partie de la matière en elle-même, et que les artistes ont envie de travailler. Et chez Robert Four, il y a l’idée assez folle de continuer à fabriquer des objets hors du temps. »
Cette tapisserie a vocation à être éditée en 3 exemplaires, à bon entendeur…
Manufacture Robert Four
7, rue Madeleine, 23200 Aubusson. Informations: www.aubusson-manufacture.com
Cité internationale de la tapisserie, rue Williams-Dumazet, 23200 Aubusson. Visites: tous les jours, sauf le mardi, de 9 h 30 à 12 heures et de 14 heures à 18 heures. Informations: cite-tapisserie.fr
Showroom parisien de la Manufacture
23 rue des Martyrs, escalier c 1er étage
75009 Paris