Culture
L’art contemporain bouscule l’automne : trois expositions parisiennes
24 NOVEMBRE . 2023
Trois expositions à Paris comme autant de rendez-vous pour s’interroger - avec humour, surprise et ravissement esthétique - sur notre condition humaine à travers trois démonstrations artistiques brillantes. Suivez le guide !
On inaugure le cycle contemporain de l’automne avec la très attendue exposition Sophie Calle au Musée Picasso À toi de faire, ma Mignonne, rendez-vous incontournable de la saison pour s’immerger dans l’œuvre puissante de cette singulière artiste, puis on poursuit du côté de chez Rodin pour découvrir le dialogue entre les œuvres du maître de la sculpture moderne et son héritage artistique en la figure d’Antony Gormley, sculpteur britannique qui questionne l’humain avec Critical Mass et ses surprenantes installations, pour enfin voguer jusqu’au Vaisseau Infini de Dalila Dalléas Bouzar au Palais de Tokyo et se laisser étourdir par la beauté des broderies qui le recouvrent. Visite !
À toi de faire, ma Mignonne de Sophie Calle au Musée Picasso
Invitée du Musée Picasso, Sophie Calle investit les quatre étages de l’hôtel Salé avec une exposition fleuve, sorte de rétrospective inédite de son œuvre.
On préfère vous prévenir : aux visiteurs qui imagineraient profiter de cette occasion pour (re)voir les toiles du maître espagnol, passez votre tour. Seule une œuvre isolée à l’étage, et trois autoportraits sont visibles dans l’événement. Ces trois tableaux entourent symboliquement le livre qui donne le titre de l’exposition à Paris « à toi de faire ma mignonne », comme une mise en scène de la passation de pouvoir régner en ces lieux. L’œuvre de Picasso brille donc ici plutôt par son absence.
Tantôt ses toiles sont cachées d’une couverture de papier avec les « Picasso confinés » : tableaux photographiés par Sophie Calle durant la pandémie, tantôt elles sont couvertes de voilage brodé de témoignages recueillis auprès de personnes qui les auraient contemplées avec la série des « Picasso fantômes ». En mettant à distance l’œuvre physique, Sophie Calle parvient à susciter une nouvelle forme d’émotion chez le spectateur : réactivant ainsi notre mémoire et sollicitant notre capacité de projection. C’est le regardeur qui fait l’œuvre disait Duchamp, et l’on ne saurait cité assertion plus juste en la matière. Le tableau ne se résume plus par la matière qu’il donne à voir mais existe à travers le souvenir de l’émotion suscitée par sa présence. A ce premier étage qui orchestre une mise en abîme artistique autour de l’univers de Picasso et d’autres artistes (il faut voir la salle du Guernica où se déploie la collection personnelle de Sophie Calle), se déploient dans les étages supérieurs les thématiques chères à l’artiste : la privation du regard, avec plusieurs séries consacrées aux aveugles qui sondent le rapport de ces personnes privées de la vue aux choses qui les entourent, mais aussi à la disparition largement évoquée à travers les figures paternelle et maternelle, les célèbres mother et father. En scrutant la mort des siens, Sophie Calle questionne la sienne, faisant face à sa plus grande hantise. Ne laissant pas d’héritier derrière elle, qu’adviendra –t-il de tous ses biens, de tout ce qui aura formé son existence ?
Pour conjurer le sort, elle a fait appel à des commissaire-priseur de Drouot afin de dresser l’inventaire de sa vie, devançant et détournant même ce moment inéluctable. Avec le recours à l’archive et à l’écriture comme matières premières de son œuvre, l’artiste aussi cynique que facétieuse fait entrer le spectateur dans une dimension puissamment intime et paradoxalement universelle. Une exposition à Paris qui sonne comme un memento mori.
En post scriptum : on ne saurait oublier de vous mentionner que l’artiste elle-même investit une salle en fin de parcours où elle a installé son bureau qu’elle tiendra à ses heures le temps de l’exposition… A bon entendeur !
À toi de faire, ma Mignonne.
Une exposition de Sophie Calle au musée Picasso
3 octobre 2023 – 7 janvier 2024
5 rue de Thorigny,
75003 Paris
Antony Gormley investit le musée Rodin de Paris
Plus de 100 ans après la disparition du maître communément considéré comme père fondateur de la sculpture moderne, c’est entre les murs du musée qui porte son nom et au milieu de ses œuvres que l’exposition de l’artiste britannique Antony Gormley prend place cet automne. Questionnant l’enjeu du corps dans l’espace, Gormley s’inscrit dans la droite lignée d’Auguste Rodin en ce qu’il fait de la figure humaine la matière première de son œuvre.
Que ce soit avec Critical Mass II, une installation de soixante sculptures peuplant la salle d’exposition temporaire et le jardin où se dessine une perspective de corps se jetant droit vers la célèbre « Porte de l’Enfer », ou encore avec ses Insiders, Gormley ne cesse de repenser les limites du corps et de sa matérialité.
A travers ces sculptures d’êtres charnus mais sans visage, c’est toute notre humanité qui est interrogée. Plaçant ses personnages dans des postures tantôt réalistes, tantôt incongrues, l’artiste invite également le spectateur à réfléchir à sa condition présente et future. Au sein de l’Hôtel Biron, ce sont des œuvres plus abstraites qui sont confrontées aux chefs d’œuvre du maître, prouvant qu’à plus d’un siècle d’écart, les méthodes de travail et de recherches en matière de sculpture restent inchangées : production collective, expérience de la maquette et du moule, carnets et croquis préalables, sont tout autant de dénominateurs communs à ces deux artistes qui sont ici exposés.
« Par ses innovations, le père de la sculpture moderne est allé au bout de la liberté d’expérimenter, il a utilisé les nouvelles techniques de reproduction rendues possible à son époque par le développement industriel » dit Gormley. Avec lui l’art se mesure à une nouvelle dimension, celle « d’évacuer la question de la surface au profit d’une intériorité et d’exploiter les potentialités du vide ».
Une brillante manière de reconsidérer l’histoire de la sculpture.
Antony Gormley
Critical Mass
17 octobre 2023- 3 mars 2024
Musée Rodin
77 rue de Varenne
75007 Paris
Vaisseau Infini, Exposition de Dalila Dalléas Bouzar au Palais de Tokyo
On pourrait presque vous glisser quelque chose comme « rendez-vous à l’abri du monde », tant l’installation de l’artiste Dalila Dalléas Bouzar – Lauréate du prix SAM pour l’art contemporain 2021, – nous est apparue un refuge en ces temps agités. Une bulle d’utopie sous la forme d’une grande tente aux broderies monumentales confectionnées par des brodeuses algériennes amatrices comme professionnelles.
Ces broderies oniriques qui couvrent aussi bien l’intérieur que l’extérieur de la tente, illustrent les dessins que l’artiste a fait dans le désert du Sahara, au sud de l’Algérie, sur un site aux traditions millénaires de représentation de l’histoire humaine. Cette installation présentée dans la rotonde du Palais de Tokyo, nommée « Vaisseau infini », s’inscrit ainsi dans la continuité d’une tradition tout en renouvelant ses formes. L’art pariétal cède ici sa place à une forme d’artisanat incarné par la broderie, au service d’une pensée contemporaine qui interroge son présent et son futur.
Pour pénétrer cet antre et fouler son sol, il faudra vous déchausser puis vous laisser surprendre par les évènements du jour. Au programme : méditations, diffusion des podcasts Vintage Arab, création sonore signée Paloma Colombe, ou encore rencontres avec des philosophes, artistes, et historien•nes.
Des moments suspendus où seront tour à tour évoqués les questionnements chers à l’artiste comme le rôle de l’Histoire de l’Art, la représentation en tant qu’outil de pouvoir, mais aussi la condition des femmes et l’histoire des dominations.
Pour compléter cette installation, un vestige de la performance inaugurale de l’artiste trône en voisin à travers « l ‘Arche », une cape gigantesque, magnifiquement brodée, qui a servi de manteau de cérémonie à Dalila Dalléas Bouzar pour le rituel d’ouverture de l’exposition et qui joue à présent le rôle de sculpture en écho à la tente. Hypnotique !
Vaisseau Infini
Exposition de Dalila Dalléas Bouzar, lauréate du Prix SAM pour l’art contemporain 2021
18 octobre 2023 – 07 janvier 2024
Palais de Tokyo
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